Maîtres et merveilles
Visite "privilège" du 3 juin 2024
par Lola Fondbertasse
Visite assurée par Lola Fondbertasse, conservatrice au musée des Beaux-Arts de Dijon et co-commissaire de l’exposition.
Cette exposition fait suite à un programme de recherche initié par l’Institut national de l’histoire de l’art (INHA) qui visait à répertorier la peinture germanique conservée en France, peu connue d’une manière générale. Trois lieux présentent actuellement les résultats de ce travail, lieux retenus en fonction de leur richesse et de leur spécialisation : le musée Interlinden de Colmar pour la peinture du Rhin supérieur, le musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon pour la peinture du XVIe siècle et le musée des Beaux-Arts de Dijon pour la peinture du XVe siècle. Ces trois expositions sont donc complémentaires.
Pour sa part le musée de Dijon doit en grande partie son exceptionnelle richesse à Marie-Henriette Dard qui lui a légué près de 2000 œuvres, dont une trentaine de peintures. A partir de ce fonds remarquable et de 45 prêts complémentaires, l’exposition nous offre un panorama unique de la peinture gothique du XVe siècle. Pour aider à la compréhension de cette période avec laquelle notre œil est peu familiarisé, quatre grandes sections ont été constituées sur des thèmes spécifiques.
La première rappelle le territoire géographique considéré, à savoir le Saint Empire romain germanique, mosaïque politique recouvrant un grand nombre de foyers artistiques, et les grandes caractéristiques stylistiques du style gothique international (couleurs chatoyantes, lignes sinueuses, goût pour le détail naturaliste, premières tentatives de perspective …) qui lui est propre. Nous étudions ainsi un Saint Georges combattant le dragon de Nikolaus Schit prêté par le musée des Beaux-Arts d’Orléans et longtemps confondu avec Jeanne d’Arc ou des Episodes de la Vie de la Vierge de Maître Bertram.
La seconde section présente les formes et usages des peintures, qui avaient un usage précis (pour la prière à la maison, pour un usage en voyage, pour établir une intercession avec le divin …). D’autant plus que la Dévotio moderna consacrant une pratique beaucoup plus personnelle et quotidienne de la religion s’implante fortement dans ces territoires. Notre guide nous présente entre autres le Retable de l’Adoration des mages avec sur les panneaux latéraux saint Sébald, patron de Nuremberg, et sainte Hélène, très vénérée dans cette ville. Le goût pour le pathétique est saisissant avec deux œuvres telles que Le Christ de douleur et la Vierge de douleur, peintures sur bois créées en Franconie, dans la région de Nuremberg.
La troisième section est consacrée à l’atelier du peintre, avec deux espaces distincts, celui plus concret de la préparation des « outils » utilisés et celui de la création, avec la mise en valeur d’un procédé d’impression nouveau, celui de la gravure, qui permet une diffusion des idées et des nouveautés iconographiques. L’influence d’un artiste tel que Schongauer est ainsi évoquée
La dernière section intitulée « Questions de style » présente les différents foyers de création avec leurs particularités stylistiques, l’introduction de la peinture à l’huile et ses possibilités dans le rendu des matières, les « signatures » des ateliers. Par exemple la peinture L’Empereur Auguste avec la sibylle de Tibur, affiche de l’exposition de Dijon, rompt avec le style gothique international, différentes œuvres présentent l’atelier dit « à l’œillet et au brin de lavande, le foyer suisse du Valais est évoqué avec Saint Bernard de Menthon rencontre le roi Henri IV à Pavie. Une reconstitution du rendu et des effets de la lumière tremblante des bougies sur les retables à fond doré (il s’agit du Retable de Pierre Rup) permet de mieux appréhender le ressenti des fidèles à cette époque.
Tout cela pour dire que cette exposition est exceptionnelle, particulièrement riche et documentée et que plusieurs visites complémentaires s’imposent pour en saisir toute la valeur. Merci à Lola Fondbertasse de nous avoir ainsi brillamment mis l’eau à la bouche.
Annie Haïk