Charles-Alphonse DUFRESNOY

Allégorie de la Peinture -20/100-

huile sur toile vers 1650. Don de la Société des Amis des Musées de Dijon en 2006. © musée des Beaux-Arts de Dijon/François Jay.

Hauteur : 62,8 cm ; Largeur : 77,5 cm.
Cette oeuvre est probablement l’une des plus ambitieuses du peintre lettré Dufresnoy, figure peu connue de la peinture française au XVIIe siècle mais que des recherches récentes ont fait redécouvrir (cf. Sylvain Laveissière, « Les tableaux d’histoire retrouvés de Charles-Alphonse Dufresnoy », Revue de l’art, 1996, n° 112, p. 38-58 et S. Laveissière, « Charles-Alphonse Dufresnoy, peintre secondaire ? », in L’Idéal classique, p. 252-260). Pendant longtemps, Dufresnoy est surtout resté connu comme théoricien de l’art suite à son « De arte graphica Liber », paru en 1668. Aujourd’hui, la découverte de son « Allégorie de la peinture », sans doute son oeuvre la plus significative, permet de réévaluer pleinement le peintre.
Dans ce tableau, l’artiste nous offre une iconographie rare et raffinée : une jeune femme est figurée en train de peindre un jeune homme ailé ; ce détail, ainsi que les traits idéalisés des personnages, indiquent que nous sommes en présence d’une allégorie, et non d’un portrait ou d’une scène de genre. Cependant, Dufresnoy s’est entièrement affranchi de la tutelle de Cesare Ripa, dont la célèbre Iconographie fut pourtant très souvent suivie au XVIIe siècle. Pour Ripa, la Peinture est une « belle jeune femme, ayant les cheveux noirs & crepus, la bouche couverte d’un bandeau, et au col une chaîne d’or où pend un masque. Elle tient d’une main plusieurs pinceaux, avec ce mot pour devise, Imitatio, & de l’autre un Tableau ». Dufresnoy, peintre intellectuel, s’écarte sciemment des recommandations de Ripa pour créer une allégorie de sa propre invention. Qu’il s’agisse d’une allégorie de la Peinture est bien confirmé par la présence d’un livre de Léonard de Vinci, tenu par le putto du premier plan, allusion au « Traité de la Peinture » de cet artiste, publié pour la première fois par Roland Fréart de Chambray en 1651, avec des illustrations dues à Poussin. Ici, la figure allégorique est représentée en train de peindre, car les peintres français de l’époque revendiquent dans la peinture une activité noble, intellectuelle.
Dufresnoy accumule les détails iconographiquement insolites : l’allégorie masculine qui est peinte par la jeune femme résiste en particulier à toute tentative d’interprétation à l’aide de l' »Iconographie » de Ripa, tellement ses attributs sont nombreux : branche d’olivier, couronne de laurier, arc et carquois portant l’inscription « ARTES FLAMMA MEA DECORAT » (« Ma flamme embellit les arts ») ; sphère armillaire, luth, violon et partition doivent être intégrés dans l’interprétation de cette figure car ils se retrouvent peints dans le tableau ovale auquel travaille la jeune femme.
Il n’a malheureusement pour l’instant pas été possible de trouver un sens logique à cette juxtaposition exceptionnelle d’attributs. Une allusion aux arts libéraux est possible, car on retrouve des objets liés à la Géométrie, l’Astronomie et la Musique ; la présence de Minerve (protectrice des arts et des sciences) dans le bas-relief de droite pourrait confirmer cette hypothèse. Cependant l’Arithmétique manquerait afin que soient figurés les quatre arts du quadrivium. La thèse selon laquelle le jeune homme ailé (porteur d’olivier et de laurier) pourrait représenter le Génie, dont la flamme embellit les productions de l’art, est séduisante, mais demande à être confirmée, en particulier par rapport au « Traité de la Peinture » de Vinci.
D’autres allusions sont perceptibles. C’est ainsi que les trois arts du dessin sont représentés dans l’oeuvre : la Peinture bien sûr (dans l’oeuvre mise en abîme), la Sculpture (la tête d’étude à gauche et le bas-relief de droite), l’Architecture (le Putto qui dessine au compas et à l’équerre, la porte du fond, la colonne de droite). On peut aussi imaginer une évocation du célèbre Paragone entre Peinture et Sculpture, par le biais de la figure ailée vue sous deux angles différents. Il est clair que cette oeuvre complexe n’a pas encore livré toutes ses clefs de lecture.
Sur le plan pictural, le tableau présente une composition très équilibrée : les deux personnages principaux forment des lignes élégantes de part et d’autre du centre du tableau, occupé par des éléments plus géométriques (la porte rectangulaire, le chevalet triangulaire, le tableau ovale). Tout en s’intégrant remarquablement dans les productions classiques françaises du milieu du siècle, l’oeuvre montre une souplesse dans les attitudes qu’on ne trouverait pas chez un La Hyre ou un Le Sueur, plus graves ; elle annonce la peinture plus tardive des élèves de Charles Le Brun (Houasse par exemple). De plus, l’artiste fait preuve d’une remarquable fraîcheur d’invention dans les visages, en particulier celui du putto de gauche. La matière picturale elle-même est très variée, allant d’un faire lisse dans les carnations et les détails architecturaux à des empâtements discrets (reflets de l’or) en passant par une touche large et visible pour les rehauts de lumière dans les draperies.
Cette oeuvre s’insère remarquablement dans la ligne des acquisitions de peintures françaises du XVIIe siècle réalisées de proche en proche par le musée des beaux-arts de Dijon, afin d’enrichir et diversifier le fonds ancien du musée dans ce domaine, provenant quasi-exclusivement des saisies révolutionnaires à Paris et Dijon : c’est ainsi que le musée a pu acquérir des oeuvres de François Perrier (« La Peste d’Athènes » et « Le Sacrifice d’Iphigénie », en 1969 et 1971) ou encore de Jacques Stella (« L’Enfance du Christ », en 1981).
L’œuvre s’insère également avec une grande aisance parmi les représentations de la création picturale présentes au musée, de la scène de genre du hollandais David Ryckaert (« L’atelier du peintre », inv. J 126) à la vanité du « Trompe l’œil » du tournaisien Jean-François de Le Motte (inv. CA 692), en passant par le « Portrait d’un peintre » du Todeschini. Tout récemment, l' »Apothéose du baron de Joursanvault », acquise en février 2005, montrait le jeune Prud’hon en Génie de la Peinture. L’oeuvre de Dufresnoy aborde ce thème sous l’angle de l’allégorie, de la peinture d’histoire, rang le plus élevé dans la hiérarchie des genres au XVIIe siècle. La mise en abîme de La peinture dans la peinture reste un sujet de prédilection au musée, tant dans la politique d’acquisition que de médiation, depuis qu’en 1982, le thème a fait l’objet au musée d’une exposition qui reste une référence sur ce sujet. (Notice de Matthieu Gilles, 2006).

  • Price
    Charles-Alphonse DUFRESNOY (1611-vers 1665)
  • Frequency
    Musée des Beaux-Arts de Dijon
  • Release Date
    janvier 1, 2006